Sur le pays de son enfance, elle est intarrissable : des souvenirs de nature, des senteurs et des images, le savoir des anciens, la force des femmes... Un jour, elle a délaissé la danse pour le cinéma. Rendez-vous dans le prochain Ozon.

« Madame Figaro». – Commençons par le commencement. Vous naissez dans la piscine d'une maternité près d'Orléans afin, selon vos parents, de commencer votre vie en douceur. Puis, jusqu'à l'âge de dix ans, vous grandissez en Corse…

Vahina Giocante – D'où mon père est originaire.

– Et votre mère ?

Vahina Giocante– Elle est d'origine andalouse.

– Donc, le nom de Giocante est...

–Vahina Giocante ... corse. Et Vahina signifie « bienvenue » en malgache.

– Quelles sont les images qui vous reviennent quand vous

vous retournez sur votre jeunesse passée en Corse ?

Vahina Giocante– Elles se bousculent, bien sûr. Mais ce qui est le plus fort dans mon souvenir, et ce qui me frappe encore en premier quand je reviens en Corse, c'est l'odeur du maquis, une odeur fraîche et boisée, une odeur de terre et de feuilles. J'ai grandi dans les montagnes. Nous habitions une grande maison un peu à l'écart d'un village appelé Vero, à vingt-cinq kilomètres d'Ajaccio et à vingt minutes de la mer. J'ai des souvenirs de cabanes et de rivières. Mon père cultivait des fruits et légumes, et, avec mes frères et soeurs, nous allions manger des pastèques et des melons dans les champs, en prenant tout juste le temps de les cueillir. Et puis, tous les ans, au village, il y avait un endroit où l'on allumait des bougies et où les anciens racontaient les légendes du pays aux enfants.

– Vous parlez des anciens avec, semble-t-il, nostalgie...

Vahina Giocante– En Corse, il n'y a pas de séparation des générations. À la maison, nous vivions avec mes parents et mes grands-parents. Tout le monde s'occupait de tout le monde. C'est très dur d'être parent aujourd'hui quand on n'est pas conseillé et soutenu par ses parents ou ses grands-parents. Je trouve ça handicapant, presque mutilant, de ne plus se nourrir du savoir des anciens. On ne transmet plus, et les jeunes ont de moins en moins de choses à quoi s'accrocher.

– Votre famille vit toujours en Corse ?

Vahina Giocante– Mon père, mes frères, ma tribu. J'essaie d'y aller deux ou trois fois par an. Nos racines sont principalement là où l'on a grandi, même si on s'expatrie, même si, comme je le fais, on voyage en étant confronté à des cultures très différentes. Et puis, je crois beaucoup à la génétique. Je porte en moi toute l'histoire des femmes de ma culture, ces femmes méditerranéennes souvent dotées d'une forte personnalité.

– Qu'est-ce qui pourrait caractériser l'esprit corse ?

Vahina Giocante– Un sens de l'honneur très fort avec un énorme orgueil, ce qui peut, bien sûr, constituer une qualité et un défaut; un grand sens de la solidarité aussi, et justement, au sein de la tribu. En Corse, et la sensation est renforcée par le fait que c'est une île, on se sent protégé. On est dans un cocon, on a du mal à s'en arracher.

– Vous en êtes pourtant partie à l'âge de dix ans...

Vahina Giocante– Je voulais être danseuse, et en Corse il n'y a guère de possibilités de réaliser ce genre de rêve. Je suis devenue petit rat de l'Opéra de Marseille. Et j'avais besoin de quitter le nid, de voler de mes propres ailes, j'avais envie de voir le monde.

– Et puis, bifurcation vers le cinéma, puisque vous avez quatorze ans quand vous êtes repérée sur une plage, et choisie parmi un nombre considérable de jeunes postulantes pour tenir le rôle principal dans « Marie Baie des Anges », de Manuel Pradal. Là, vous faites un vrai choix ?

Vahina Giocante– Je ne pensais pas qu'être comédienne puisse être un métier. Mais j'ai vite su qu'il fallait que je choisisse. Alors j'ai fait le deuil de ma passion pour la danse et les choses se sont enchaînées. Et plus je tournais, plus j'aimais ça.

– On vous a vue notamment aux côtés d'Emmanuelle Béart et de Sandrine Bonnaire dans « Voleur de vie », dans « Blueberry, l'expérience secrète », dans « Lila dit ça », et dans bien d'autres films. Qu'est-ce qui va se passer, maintenant ?

Vahina Giocante– J'ai tourné « Un lever de rideau », sous la direction de François Ozon, avec Louis Garrel et Mathieu Amalric. C'est une pièce de théâtre filmée, un huis clos d'après « Un incompris », d'Henry de Montherlant, écrite dans une langue superbe, qui confine à la poésie. En fait, je n'ai pas tourné depuis un moment, depuis novembre précisément. Dans un article à mon sujet, j'avais lu : « Elle a le bon goût de se faire rare. » À ce moment-là, ça m'avait fait rire. Puis je me suis rendu compte que c'était vrai. Que, d'instinct, j'évite de me cantonner au cinéma et de m'exposer à tout prix pour rien. Je vais à la rencontre des gens, j'observe les êtres humains, je me nourris d'expériences, d'émotions, je me remplis de moments de vie. J'ai quatre projets au cinéma à partir de septembre : un film fantastique, un film d'aventures et deux comédies. Et je vais pouvoir restituer, là, avec une large palette, tout ce dont je me suis imprégnée durant ces longs mois.

Propos recueillis par Christian Gonzalez/ Madame Figaro Photos : Éric Frideen/ Madame Figaro.